J’ai eu l’idée de ce billet il y a quelques temps. Un soir, comme ça. Car il est temps que je laisse certaines rancunes derrière moi, notamment en ce qui concerne une personne. Une personne qui m’a fait du mal (intentionnellement, du moins je le crois), à une époque où je me trouvais dans un « entre-deux ». Mais ce mal était nécessaire pour que je me reprenne en main, que j’avance et que j’évolue. Si elle ne m’avait pas dit ces mots-là, où en serais-je actuellement ? Sincèrement, toujours nulle part.
À aucun moment je ne citerai le nom de cette personne. Par respect pour elle, je préserverai son anonymat. Même si je l’ai haïe pendant longtemps, elle ne mérite pas de lynchage public.
Je me souviens toujours de ses mots comme si c’était hier. « Tu es un branleur, un fouille-merde. Tu tires les gens vers le bas… » Oui, quand elle m’a balancé ça à la figure, je ne m’y attendais absolument pas. Mais surtout, je suis tombé de haut. La première chose que j’ai ressentie juste après ça, c’est la culpabilité. Celle d’être ce que j’étais devenu à cette époque : un garçon capable de méchanceté, aussi bien envers des gens qui ne lui avaient rien fait qu’envers ses propres amis. Certes, comme tout le monde, j’ai ma part de méchanceté (et je ne veux plus du tout m’en cacher). Mais après ses paroles, j’en avais honte. Je voulais alors que les personnes que j’avais blessées par le passé me pardonnent. À cette époque, j’avais donc appris la véritable signification de deux concepts : la méchanceté gratuite et l’insécurité.
En fait, il faut remonter à encore plus loin que ce jour-là… Je venais de terminer mon premier Master et j’avais accumulé beaucoup de frustration et d’échecs :
- Mon stage était un fail complet ;
- Le travail colossal fourni pour mon mémoire a été réduit à néant en à peine une seconde par mes tuteurs ;
- Ma relation amoureuse a été un échec cuisant ;
- Le passage au permis a été une catastrophe (à laquelle j’ai remédié) ;
- J’avais trahi et perdu une amie chère.
Tout ça m’avait fait beaucoup de mal et le pire, c’est qu’on ne voulait pas comprendre mon sentiment d’échec professionnel (je pensais vraiment avoir raté ma vie, à ce moment-là). Ajoutez à ça des années antérieures de harcèlement moral et vous obtenez un enfant blessé et rempli d’aigreur et de haine, qui ne demande qu’à exploser, mais aussi à se faire aimer pour ce qu’il était. Voilà pourquoi j’ai fait du mal à des individus, parce que j’en avais envie (et besoin). Voilà pourquoi je me suis mis à dos beaucoup de monde. Et voilà pourquoi cette personne en particulier m’a dit mes quatre vérités.
Je ne voulais alors pas les entendre, bien que je m’efforçasse justement de les assimiler et de les accepter. Tout ce qu’elle m’a dit était vrai : je n’avais pas de situation professionnelle, je ne me bougeais pas le cul pour m’en sortir à ce niveau-là et je passais mes journées à dénigrer les autres sur les réseaux sociaux. Bon, on est peut-être tous passés par là, à un moment donné. Chacun d’entre nous réagit à sa manière et moi, je me suis défendu de cette manière face à ma frustration générale. Donc oui, c’était vrai. Et c’est grâce à ses propos que je vis de ma situation actuelle. Que je suis bien plus épanoui qu’il y a quelques années.
En fait, jamais personne ne m’avait remis (ou n’avait osé me remettre) à ma place. Pourtant, j’avais besoin de ça. Il le fallait pour que je devienne une personne meilleure. Une bonne personne. Pourtant, quand on me le dit, je n’y crois toujours pas. Car je pense encore que ce monstre dort en moi. Car je garde en moi ces traces de culpabilité qui me rongent, comme je n’ai pas encore eu le courage de faire totalement mon mea culpa envers mes victimes et, surtout, envers moi-même. Pourtant, comme les autres, j’ai mes qualités et mes défauts. Disons qu’aujourd’hui, j’apprends à accepter que je sois quelqu’un de bien et que je peux aussi avoir un mauvais côté. Comme tout le monde. Parce que personne n’est parfait (on devrait plus nous apprendre à accepter nos imperfections plutôt qu’à nous mettre en compétition dès le plus jeune âge, mais là je m’écarte du sujet).
J’avais donc besoin de l’entendre et cette personne me l’a dit de but en blanc. Je lui dis donc ceci : MERCI ! Oui. Merci de m’avoir remis sur le droit chemin. Merci de m’avoir permis de prendre conscience de ma rancœur intérieure qui germait dans mon cœur, sans que j’arrive à en arracher les racines. Merci de m’avoir fait comprendre que la méchanceté gratuite ne me rendrait pas plus heureux et n’arrangerait pas ma situation professionnelle.
Oui, le chemin vers la rédemption intérieure a été long et semé d’embûches. Oui, j’ai mis du temps à me construire professionnellement. D’ailleurs, une fois, ma thérapeute m’a dit ceci : « Il vous a fallu trois ans pour faire le deuil de votre ancien vous. » Et c’est exactement le temps dont j’ai eu besoin pour avancer. Pendant cette période, je me demandais si j’allais pardonner à cette personne ses mots blessants. Puis, j’ai ressenti la même chose que pour ceux à qui j’en avais terriblement voulu : je me suis réveillé un matin en repensant à elle et en étant surpris de ne plus avoir d’animosité envers elle. Tout simplement.
Pendant ces trois ans et encore aujourd’hui, j’ai appris à me faire davantage confiance. J’ai appris à rester en dehors des histoires (ça fait du bien après avoir été le centre des embrouilles, justement). J’ai appris à dire bien moins souvent du mal gratuitement des autres (mais il m’arrive encore de le faire et, ma foi, tant pis c’est fait !). J’ai appris à mieux me fier à mes capacités, à accepter les critiques constructives et à laisser de côté celles qui sont infondées. J’apprends à suivre ma propre route et à demander moins l’avis de mon entourage (car à chaque fois, je me suis rendu compte que ça me bloquait). Et j’apprends encore à accepter le fait que, non, je ne pourrai jamais plaire à tout le monde. Comme j’apprends encore tout un tas d’autres choses en tant qu’adulte.
Je conclurai ce billet ainsi : j’ai réussi à pardonner à quelqu’un des propos blessants, mais véridiques dans le fond. Parce que cet instant T m’a amené à évoluer dans le bon sens. Et si un jour, tu passes par là (et que tu te reconnais), je te le dis : je te pardonne.