[DOSSIER] The Florida Project / Wonder Wheel – Une Histoire Américaine (JD)

« Aux quatre coins des États-Unis, les motels bon marché sont devenus le dernier refuge pour tous ceux qui se retrouvent dans une situation précaire. Une population de “sans-abris clandestins” de plus en plus importante, dont 41% sont des familles, se bat quotidiennement pour ne pas être à la rue. The Florida Project se déroule dans la banlieue d’Orlando, capitale mondiale du divertissement, abritant le célèbre “Royaume enchanté“ de Disney. L’autoroute qui dessert les parcs à thèmes et les hôtels-clubs est bordée de motels autrefois fréquentés par les touristes et désormais pris d’assaut par des familles sans abri » – Sean Baker, réalisateur de The Florida Project / Festival de Toronto.

Présentation des films

Concernant The Florida Project, l’objet du film est simple, il suit la vie des habitants d’un motel en Floride à quelques kilomètres du parc Walt Disney World Resort. Il se focalise plus particulièrement sur la jeune Moonee de 6 ans et ses péripéties avec ses camarades du même motel. La majorité des enfants sont livrés à eux-mêmes, et cela n’échappe pas à Moonee. En effet, sa mère Halley essaye de survivre en enchaînant les petits boulots. Son quotidien est de trouver suffisamment d’argent pour prolonger leur séjour dans le motel de quelques semaines voir quelques jours. Le film met donc la lumière sur l’entraide entre habitants du motel, la débrouille quotidienne et les stratagèmes que chacun doit trouver pour prolonger son séjour, mais également la dureté de ce milieu social : les coups-bas, les signalements auprès de la protection de l’enfance et la prostitution.

On peut apparenter le destin de ces personnages à une forme de Misérables des temps modernes : la petite Moonee subissant son destin comme une certaine Cosette de par l’action de sa mère, Halley, qui suit le destin tragique de Fantine, tentant de survivre par tous les moyens et finissant par se prostituer également pour payer à sa fille, un toit où dormir.

Pour Wonder Wheel, Woody Allen met la lumière sur le destin croisé de deux femmes qui sont liées par un homme Humpty durant les années 50. En effet, ce dernier s’est remarié avec Ginny qui avait pour but d’être actrice avant de faire carrière comme serveuse au parc d’attraction de Coney Island. Humpty a eu d’une précédente liaison une fille Carolina qui resurgit après avoir disparue pendant plusieurs années. Cependant, le retour de Carolina ne se fait pas de manière innocente, car elle fuit son mari mafieux. Si son père se révèle au début assez réfractaire à son retour, celui-ci se montre de plus en plus protecteur allant jusqu’à lui payer des cours du soir et à imposer Carolina comme serveuse aux cotés de Ginny.

Dans ce contexte surgit Mickey, un jeune dramaturge de 30 ans, qui travaille comme maître-nageur. Ginny cède assez vite à ses avances, et une relation naît entre les deux. Ginny se projette avec Mickey, rêve de partir avec lui pour commencer une seconde vie et surtout engager sa carrière d’actrice. Par la suite, Mickey renconte une autre jeune femme dont il tombe amoureux. S’ouvre alors un triangle amoureux sans que chacun des personnages ne sache les liens formés entre eux dans un premier temps. Mais rapidement, Ginny découvre que Mickey ne ressent pas les mêmes sentiments qu’elle et que ce dernier est en réalité amoureux d’une autre femme qui se nomme …. Carolina.

Un cadre idyllique

La première caractéristique qui lie les films est l’élément spatial. En effet, les deux films ont pour toile de fond, un parc d’attraction. Mais il ne s’agit pas de n’importe quels parcs d’attraction : le fameux parc de Disney World en Floride pour The Florida Projet et le parc mythique de Coney Island à New-York pour Wonder Wheel. D’ailleurs, pour ce dernier, le titre du film est inspiré du nom de la grande roue haute de 45 mètres du parc de Brooklyn.

Le titre The Florida Project quant à lui est le nom de code du parc Disney World dans les années 60 avant qu’il obtienne son nom final que l’on connaît tous. Si Woody Allen n’est pas précurseur pour mettre en lumière le Coney Island, on pense notamment au clip de XO de Beyoncé ou encore aux films Alien Nation ou Cloverfield, ce n’est guère le cas pour The Florida Project car le parc d’attraction fut l’un des éléments majeurs du film Dans l’ombre de Mary avec Tom Hanks en 2014.

Au-delà du fait atypique qu’un parc d’attraction puisse être l’élément marquant d’un film, c’est le sens figuré et la métaphore du parc d’attraction qu’il convient de mettre en exergue. Les deux films mettent en avant une classe populaire et pauvre des États-Unis, de ce fait, le parc d’attraction apparaît comme un trompe l’œil, laissant croire que tout travail et que toute personne évoluant dans ce lieu idyllique et fantasmé par des millions de personnes, le sont également. Le parc d’attraction apporte donc une vision cynique de la société américaine voir de la société occidentale : des milliards de dollars sont brassés dans un parc n’ayant pour but que le loisir, des gens font des milliers de kilomètres pour connaître leur quart d’heure de sensation forte, et dans le même temps les employés de ce parc ou alors les gens vivant en périphérie du parc se posent une seule question : comment vais-je payer ma chambre d’hôtel miteuse ce soir ?

Le comble du cynisme est développé par le réalisateur de The Florida Project qui explique que la genèse du film provient de son co-scénariste Chris Bergoch qui était passé sur l’autoroute 192 (l’un des principaux axes menant à Disney World), et ce dernier avait ainsi pu remarquer à quel point la plupart des motels du coin hébergeaient non pas des touristes, mais des familles en situation précaire. Voir la citation en introduction

Destins de femmes

Les deux personnages principaux (Halley et Ginny) sont issues d’un milieu social pauvre, elles exercent des petits boulots dans la restauration ou dans la débrouille pour ne pas vivre mais tenter de survivre. Mais surtout, elles ont toutes les deux, un enfant (Moonee pour Halley et un garçon pour Ginny). L’une vit dans un motel normalement destiné aux nombreux touristes de la région et attiré par le parc de Disney alors que l’autre vit dans un bungalow non loin du parc d’attraction également. La précarité se révèle dans le fait que Ginny a du quitter le père de son enfant après avoir été infidèle tandis qu’Halley a perdu son travail dans un bar-dance après avoir été suspecté de coucher avec des clients contre de l’argent.

Mais surtout, on voit que Ginny tombe follement amoureuse d’un homme qui suit le même destin qu’elle. Ginny exerce un travaille de serveuse alors qu’elle veut devenir actrice tandis que Mickey exerce un petit travail de maître-nageur pour devenir dramaturge. Est-ce le destin qui a mis sur sa route un homme suivant le même schéma qu’elle, est-ce un homme plus jeune qui suit le même schéma qu’elle et qui donc par procuration lui permettra de réussir là où elle a échoué, ou tout simplement elle utilise inconsciemment Mickey pour assouvir ses désirs les plus profond ?

On remarque qu’elles sont toutes les deux dépendantes d’un homme : Ginny est mariée et on ressent rapidement qu’il s’agit d’un mariage de raison alors qu’Halley se révèle assez dépendante de la générosité du gérant du motel, Bobby, qui soit lui accorde des délais de paiement soit se montre protecteur envers sa fille Moonee. On peut également considérer que les deux femmes sont chacune des mères célibataires, bien que Ginny soit mariée avec Humpty, les deux semblent plutôt vivre comme des colocataires où chacun doit subvenir à ses propres besoins. D’ailleurs, cet élément est très vite mis en avant lorsque Ginny souhaite que son fils aille voir une psychologue et que Humpty refuse de payer les séances sur le long terme.

Désillusions américaines

Cette scène permet d’illustrer un autre thème majeur du film : l’argent. Comme cela a pu être déjà évoqué, les deux exercent des métiers précaires leur permettant de surtout payer leur loyer. Mais l’argent occupe une place non négligeable dans les deux films. Dans Wonder Wheel, Ginny pour marquer son amour envers Mickey vole les économies de son mari pour lui acheter une montre de luxe à plus de 500 dollars (qu’il refuse). Halley quant à elle commence à se prostituer à travers des sites de rencontres en ligne et vole également des touristes en leur vendant des faux billets pour le parc de Disney World.

À l’issue des films, la désillusion est totale pour les deux femmes : Halley tombe dans la prostitution et dans la drogue, et perd au final la garde de sa fille Moonee, qui lui a été retirée par les services sociaux. Au final, ce retrait par les services de protection de l’enfance apparaît comme le chant du cygne du film : tout n’est pas noir et négatif malgré ce marasme, des structures étatiques et de protection font correctement leur travail. Quant à Ginny, elle comprend dans un premier temps que Mickey ne l’aime pas autant qu’elle, et elle contribue à l’enlèvement de Carolina par son ex-mari en n’appelant pas les secours. La désillusion est fatale pour elle, croyant la disparation de Carolina comme élément majeur pour récupérer Mickey, celui-ci découvre que Ginny en est la cause. Ginny tombe dans l’alcool et réalise qu’elle ne sera jamais actrice.

Au final, c’est le rêve américain qui se trouve brisé dans ses films. Un thème omniprésent dans la culture américaine et qui donc trouve encore un écho dans ses deux films datant de 2017. Le propre de ses deux films est de transcrire des situations intemporelles et universelles. En effet, Wonder Wheel se déroule dans les années 50 quand The Florida Project se déroule dans les années 2010. Comme ce fut développé, les deux films abordent donc les mêmes thèmes : l’argent, le milieu des classes populaires et la précarité, et ce, à plus de 70 ans d’intervalle. Peut-être également que ces deux films ne sont pas sortis en 2017 de manière innocente et répondent donc à un contexte de la situation américaine : la campagne et la victoire de Donald Trump à la présidence américaine de 2016 auront permis de mettre en avant cet électorat se sentant déclassé, oublié et marginalisé. Pour souligner l’intemporalité de ces thèmes, Donald Trump reprend d’ailleurs un slogan de campagne de Ronald Reagan des années 80.

Bonus : l’accueil de la critique et du public

Pour Wonder Wheel, malgré son réalisateur mythique Woody Allen, son casting 5 étoiles avec l’oscarisée Kate Winslet et Justin Timberlake, le film n’a réalisé que 16 millions de dollars au box-office mondial et 372 000 entrées en France. Le film se révèle être un crack financier, car le budget du film s’élevait à 25 millions de dollars.

La critique quant à elle se révèle assez assassine avec le film d’Allen. Sur le fameux site de Rotten Tomatoes, le film ne récolte que 30 % d’avis positifs et une note de 5/10. La plupart des critiques mettent en avant l’assez bon casting du film, mais les reproches se font principalement à l’encontre de Woody Allen qui n’arrive pas à se renouveler. L’autre partie des critiques insiste sur le scénario reposant sur trop de complications et de trahisons. La seule récompense obtenue par le film est un prix du Hollywood Film Awards remis à Kate Winslet en tant que meilleure actrice.

Pour The Florida Project, le film a fait sensation lors de sa projection au Festival de Cannes 2017, lui permettant d’obtenir un distributeur aux États-Unis. Le box-office du film sans être triomphant s’élève à 11 millions de dollars pour un modeste budget de 2 millions de dollars et réalise 125 000 entrées en France. William Dafoe obtient une nomination aux Oscars et aux Golden Globe Awards en tant que meilleur acteur dans un second rôle.

Les critiques sont quasi unanimes sur l’accueil positif du film. Rotten Tomatoes accrédite le film de 96 % d’avis positifs. Surtout le film fait écho au hidden homelessness qui bouleverse depuis des décennies les États-Unis : le mal logement américain qui touche les travailleurs pauvres qui tout en ayant un travail sont sans domiciles fixes, aux mères célibataires ou encore aux modestes retraités.

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