
Deux films avec le terme wild présent au cœur des titres. Wild veut dire « sauvage», de prime abord cela se manifeste par les paysages des films et transparaît autour de la nature, les grandes espaces et l’évasion. Mais quand on y réfléchit, ce qui est surtout wild, ce sont les personnages principaux. Peut-être pas intrinsèquement à travers leur personnalité, mais davantage par la vie qu’ils mènent, leur choix de partir à l’aventure et de se lancer un défi. Ils deviennent « sauvages » face à leur vie routinière en cassant leurs codes et leurs habitudes.
Into The Wild est un biopic sur la vie du jeune Christopher McCandless. Dans les années 90, Christopher, après avoir obtenu son diplôme universitaire, décide de garder 200 dollars et de faire don de sa bourse à l’association Oxfam. Il quitte donc sa famille du jour au lendemain en voiture, sans les prévenir, à destination des états du sud des États-Unis. Il enchaîne donc plusieurs états américains où à chaque fois, il rencontre des habitants locaux pouvant l’aider ou en faisant des petits jobs (saisonnier en agriculture ou alors à MacDo). Au cours de ses avancées, il décide de se rendre en Alaska : cet état américain lui inspire la grande évasion, l’état sauvage pure et la pleine réflexion sur soi. Après plusieurs jours d’auto-stop, il parvient à arriver en Alaska. Il y reste plus de trois mois, trouvant en partie refuge dans un autobus abandonné près d’une rivière. Ses denrées alimentaires sont comptées et cela sonnera sa fin tragique. Christopher tiendra un journal de bord permettant de connaître de manière imprécise sa vie quotidienne, et surtout son cheminement et ses évolutions internes.
Wild est également un biopic sur Cheryl Strayed. En 1995, elle décide de parcourir une partie d’un grand sentier de randonnée : le Pacific Crest Trail qui relie le Canada au Mexique. Ce parcours se veut réfléchissant, analytique et méditant pour Cheryl. Elle y retrace toute sa vie, de son enfance compliquée auprès de sa mère à son mariage et sa vie heureuse de jeune mariée, en passant par la mort de sa mère et son basculement chaotique, avec drogue et sexe intensif qui mèneront à son divorce. Pourtant, son ex-mari est un phare pour Cheryl lors de son parcours. La jeune novice qui porte deux sacs à dos de randonnée se transforme en randonneuse aguerrie, au gré de ses rencontres et de l’avancée dans son périple. Après plus de trois mois de randonnée, le chemin accompli est terminé pour Cheryl : telle une métaphore de la vie, elle arrive sur un pont du fleuve Columbia. Le traverser marquera sa quête spirituelle et la reprise en main de son destin.
Un même départ initiatique…
Le propre de ces deux histoires est qu’elles sont vraies. Les deux films sont également adaptés chacun d’un livre. Le cœur de ces films repose sur la même volonté. Les deux héros souhaitent entreprendre un voyage pour se retrouver seuls face à leur destin et à leur vie.
Christopher semble fuir une vie toute tracée, à la suite de l’obtention de son diplôme universitaire. Il refuse de s’inscrire dans un conformisme social imposé car il est à relever qu’il est un étudiant brillant. Mais il semble fuir également son univers familial. Pour fêter son diplôme, ses parents et sa sœur le rejoignent dans un restaurant en ville : ce repas semble non pas être l’élément déclencheur de son départ, mais bien l’élément confirmant son choix de partir. Lors de ce repas ressort pleinement ce que doit subir Christopher depuis tant d’années : des parents en désaccord entre eux, des divergences de points de vue entre lui et ses parents, une sœur en retrait, une pression familiale, voire sociale, sur son avenir. Il fera don de son argent à une association précise, partira en voiture vers les états du sud des États-Unis, puis abandonnera cette voiture. La rupture est totale car il part sans laisser de traces et d’explications à sa famille (qui le cherchera pendant plusieurs mois).

Cheryl aussi est confrontée à sa vie familiale. Cela se manifeste par le lien avec sa mère, mais également dans sa vie familiale personnelle. Cheryl est mariée à un homme exemplaire et pourtant, tout vacille au décès de sa mère. Elle perd pied. Elle trouve refuge dans l’alcool, la drogue et en multipliant les conquêtes d’un soir. Elle vit au quotidien avec ses souvenirs d’enfance qui semblent plus la déstabiliser. D’un point de vue métaphorique, le cancer de sa mère semble se gangrener et se généraliser sur Cheryl. Le coup fatal avant son départ initiatique est le fait qu’elle tombe enceinte et, de ce fait, se fera avorter. À la suite de cet épisode, son mari demande de manière concomitante le divorce.
Si leur quête est personnelle, car elle relève de leur for intérieur, les deux aventuriers sont maillés de rencontres déterminantes durant leur voyage. Et c’est là tout le paradoxe. Christopher rencontre d’abord un couple de hippies en Californie. C’est le miroir de ses parents : ici, il rencontre un couple amoureux, lié chacun l’un à l’autre à leur façon, pouvant compter l’un sur l’autre et, surtout, être présent l’un pour l’autre. Ils incarnent d’une certaine façon peut-être les parents qu’aurait souhaité avoir Christopher à ce moment précis de sa vie. Il se rend ensuite dans le Dakota où il travaille durement comme fermier (un autre paradoxe pour un diplômé universitaire), et où il se lie d’amitié avec plusieurs collègues de travail. Il entreprend ensuite de longer le Colorado pour gagner le Mexique, puis il retrouvera le couple de hippies, mais cette fois-ci, avec la jeune Tracy. Il tombera sous son charme, mais finalement la repoussera, car elle paraît trop jeune pour lui. Enfin, sa dernière rencontre fondamentale est un retraité solitaire qui lui proposera d’être son héritier. Christopher ne refuse pas la proposition, mais l’élude en affirmant y songer à son retour d’Alaska…

Quant à Cheryl, dès les premiers jours de son voyage, rencontre Franck qui lui propose de l’héberger pour la nuit. D’abord méfiante, elle se laisse convaincre, n’ayant pas pu manger chaud depuis le début de son périple et, surtout, n’ayant pas pu se laver. Cette rencontre hasardeuse se révèle bénéfique pour elle : elle rencontre un couple aimable qui lui offre l’hospitalité. Elle rencontre par la suite un autre randonneur, qui l’informe sur son chemin précis à suivre et lui indique un refuge. À ce point de rencontre, elle fait la connaissance d’un campeur qui la conseille définitivement sur le matériel essentiel qu’elle doit tracter et qui, surtout, lui indique les chaussures et la bonne taille lui correspondant. Elle rencontre également Jonathan lors d’un concert, avec qui elle passera la nuit. Cheryl semble réadopter un comportement normal vis-à-vis des hommes à la fin de son parcours.
En définitive, Christopher et Cheryl trouvent, dès le début de leur aventure, des rencontres déterminantes. Ce qui laisse perplexe, dès lors que leur voyage se veut solitaire voir coupé du monde. Et surtout, ces rencontres couvrent l’ensemble de la pyramide des âges pour Christopher : Tracy étant un peu plus jeune que lui, ses collègues fermiers ayant la trentaine, le couple de hippies ayant la cinquantaine et, enfin, le retraité. Chacune de ses rencontres, retraçant une vie entière au cumulé, ne remettra pas en cause sa soif d’évasion et de pureté. Rien ne le retient, c’est là peut-être l’origine de sa fin. Cheryl rencontre, durant son voyage, essentiellement des hommes comme pour marquer en filigrane, le rapport défaillant qu’elle a pu avoir avec la gente masculine par le passé.

Cheryl semble évoluer et prendre conscience de l’ensemble des égarements qu’elle doit corriger lors de son voyage : faire confiance aux bonnes personnes, avoir une relation apaisée avec les hommes où le sexe ne doit pas être un exutoire, sinon un moment de partage, avancer dans la réflexion devant être portée sur ses souvenirs et son enfance. Quant à Christopher, il semble vraiment vivre pleinement sa vie au gré de son intuition et de son envie. Il veut se découvrir et, en parallèle, découvrir le monde.
…Une arrivée inégale
Le voyage de Cheryl est préparé et assez organisé, alors que le voyage de Christopher est totalement une fuite en avant. Elle sait parfaitement quelle route prendre avec un point A pour relier un point B, elle achète tout son matériel de survie (tente, réchaud, carte, paire de chaussures spécifiques) et, enfin, elle sélectionne même son hôtel de départ. Christopher, quant à lui, organise certes son départ par le fait qu’il supprime tous ses papiers d’identité et fait don de son argent à une association, mais il part en voiture sans réelle destination. Pour commencer, il sait simplement qu’il veut rejoindre la Californie, mais la suite de son périple n’est guidée que par son instinct. C’est la différence majeure entre les deux protagonistes : ils ont la même volonté originelle, mais pas la même motivation.
Christopher veut fuir premièrement son univers familial et aussi son avenir tout tracé, alors que Cheryl souhaite se couper de son quotidien de manière radicale et se remettre en question en accomplissant une épreuve personnelle. Cela se ressent pleinement dans le fait que Cheryl avertisse sa famille et restera en contact avec eux pendant son voyage surtout avec son ex-mari et sa sœur, alors que Christopher ne prévient ni ses parents ni sa sœur (un avis de recherche sera même lancé).

Cela aboutit de ce fait, à une fin tout à fait opposée. Cheryl rencontrera son futur mari dans sa ville d’arrivée et aura une fille. Mais surtout, elle ressortira de son voyage comme apaisée avec elle-même et surtout avec son passé familial. Elle tirera de son expérience un livre, qui deviendra un best-seller et qui sera donc adapté au cinéma. Christopher, quant à lui, à l’issue de son arrivée en Alaska, ne sera pas préparé aux duretés sauvages de son nouveau cadre de vie. D’ailleurs, l’homme, qui le prend en stop et l’emmène jusqu’en Alaska, lui donnera sa paire de bottes par pitié, voire par inquiétude… Christopher tiendra son journal de bord, lira des livres déterminants pour lui, notamment Tolstoï, et on pourra déterminer sa mort par manque de nourriture, voire un possible empoisonnement dû à une confusion sur des baies. Les graines ne sont effectivement pas comestibles, mais une fois développées en baies, celles-ci le sont.
Une arrivée inégale et non pas une arrivée différente. Certes, Christopher est marqué par la mort physique, ce qui tranche de ce fait avec Cheryl. Mais son état d’esprit a évolué en deux ans d’aventure. Sa quête personnelle, sans parvenir à son aboutissement entier, se trouve mouvante. Christopher songeait d’ailleurs à revenir dans la société. Dans son journal de bord, les derniers écrits de Christopher sont Happiness only real when shared (« Le bonheur n’est réel que lorsqu’il est partagé »).
Pour moi, les quêtes personnelles de Christopher et Cheryl sont similaires, mais tout simplement sans le même mode d’emploi. Et cela se comprend par le fait qu’il s’agit d’un homme et d’une femme, d’un jeune homme ayant la vingtaine et d’une jeune femme ayant la trentaine. Christopher est plus dans la radicalité, la coupure vive et la fuite en avant, quand Cheryl semble vouloir réfléchir seule aux événements, en gardant le lien avec sa vie, car elle sait inconsciemment où est sa place.

Bonus : Avis sur Christopher
Je ne partage pas le constat partagé sur le choix de Christopher. On le présente comme un héros anticapitaliste, qui souhaite s’affranchir de la société consumériste et, surtout, comme un porte-drapeau critique envers la société occidentale. Christopher, par ses actions, semble fuir son univers familial et son avenir tout tracé qui s’impose à lui. Il n’y a aucune critique contre la société en elle-même, juste que ce cadre l’étouffe et qu’il ressent un besoin d’évasion. Et cette dernière aspiration se raccroche sans doute à un mirage : l’Alaska qui représente les terres sauvages, la pureté et la simplicité de vie. La première action de Christopher est de donner son argent à une association américaine, cela prouve bien le fait de vouloir donner un sens réel à son argent, contrairement au possible financement de ses études.
Christopher, pendant ces deux ans, travaillera d’ailleurs comme employé chez MacDo quelque temps : travailler dans la société commerciale américaine la plus rependue sur le globe et qui symbolise au monde entier l’empire américain apparaît bien dichotomique et risible pour un jeune garçon rejetant la société consumériste… Il n’aura jamais d’engagement politique ou associatif, et il ne quittera jamais le Nord-Américain (à part une escapade à la frontière mexicaine).
Il faut juste y voir un jeune homme n’ayant pas eu une enfance facile, qui semble étouffer par son cadre de vie et qui songe à une vie plus simple et plus pure, tout en suivant pleinement son instinct et ses envies. Les mises en garde qu’il croisera pendant l’ensemble de ces deux ans n’y feront rien, car Christopher veut agir sur sa vie comme il le ressent sur l’instant présent, et surtout ne pas être influencé face aux échos de son cœur et de sa raison.